Philippe Waechter, Directeur de la Recherche Economique chez Natixis Asset Management, vous livre ici son expertise sur les fondamentaux des principales zones économiques.
L’inflation sous-jacente ralentit en zone Euro – Préoccupant
Très longtemps, la réduction du taux d’inflation en zone Euro était considérée comme résultant principalement de la baisse du prix des matières premières. Effectivement, à la fin du premier trimestre, le taux d’inflation sous-jacent était le même en 2011, 2012, 2013 et 2014 alors que dans le même temps le taux d’inflation reculait.
Ce n’est plus le cas. Le taux d’inflation sous-jacent, mesuré sur les 5 premiers mois de l’année par rapport à décembre 2013 continue de ralentir. Le graphe ci-dessous reflète sur la gauche le taux d’inflation mesuré entre décembre de l’année N-1 et mai de l’année N et à droite le taux d’inflation sous-jacent mesuré de la même façon.
Le ralentissement du taux d’inflation sous-jacent n’est pas rassurant puisque traduisant des origines internes du risque de déflation. Ce n’est plus simplement l’effet des matières premières. C’est pour cela que la BCE devait être plus agressive.

Comparaison de demande interne: USA versus Zone Euro
Afin de bien visualiser la différence de demande interne entre les USA et la zone Euro que j’évoquais, le graphique ci-dessous retrace l’indicateur pour chacun des deux pays ou zone (j’ai pris une définition plus large de la demande interne en intégrant les dépenses de consommation du gouvernement).
L’écart est de 9 points. C’est absolument considérable et traduit les différences dans le rythme de croissance de part et d’autre de l’Atlantique. Les niveaux ne sont pas non plus comparables. Aux USA, la demande interne est 4.7% au-dessus du niveau d’avant crise. En zone Euro, l’écart est négatif de 4.3%.
L’écart ne va pas spontanément se combler. Les dynamiques ne vont pas non plus être spontanément cohérentes l’une avec l’autre. La tendance actuelle de la progression de la demande interne en zone euro (depuis le T1 2013) est de 0.6% en taux annualisé. Aux USA depuis le T1 2010, le rythme de progression est de 2%. Il va falloir un sacré effort en zone Euro pour imaginer converger vers le niveau de la demande interne américaine.
Si vous cherchez la différence dans les orientations de politiques monétaires entre la Fed et la BCE, n’allez pas plus loin. La réponse est là et pour longtemps.

La demande interne privée manque de robustesse en Zone Euro
Le graphe ci-dessous traduit le désarroi européen face aux questions liées à la croissance. La courbe représente la demande interne hors dépenses de consommation du gouvernement. (il n’y a pas de dissociation entre investissement privé et public pour faire apparaitre la demande interne privée).
Au premier trimestre 2014, elle est bien en dessous du niveau constaté au pic du premier trimestre 2008. L’écart est de 6.6%. Le profil récent est un peu meilleur qu’au point bas du T1 2013 mais il traduit toujours une demande interne insuffisante.
Il ne peut pas y avoir de reprise durable de la croissance sans une demande interne solide.
Deux remarques
La demande interne est pénalisée dans plusieurs pays par une dette privée encore élevée. C’est un frein à la reprise et c’est un point d’achoppement pour la reprise. C’est une vraie différence avec les Etats-Unis où la dette privée est désormais nettement en dessous de son niveau d’avant crise. Pour plus de détails sur le rôle de la dette privée dans la reprise voir le livre d’Atif Mian et Amir Sufi (The House of Debt). La deuxième remarque est que le graphe montre qu’il n’y a pas une forte volonté ou capacité de dépenser du secteur privé.
Les dépenses publiques ont donc un rôle fort dans la dynamique de l’activité. Les réduire de façon très rapide et sur une échelle importante serait prendre le risque de réduire encore davantage la demande adressée aux entreprises et prendre le risque d’une nouvelle récession.
Tant que la demande interne n’aura pas retrouvé une dynamique plus forte, la croissance restera fragile. C’est dans cette optique que le pacte de responsabilité français dont l’objectif initial était de soutenir l’investissement productif a du sens. Mais réduire les dépenses gouvernementales trop rapidement c’est prendre le risque d’un ralentissement de l’activité et d’une hausse du chômage. Pas sûr que ce soit le moment.

Retrouvez les analyses de Philippe Waechter sur son blog.